Zoothérapie et médiation animale : vers de nouvelles pratiques de soin

Zoothérapie et médiation animale : vers de nouvelles pratiques de soin

On parle beaucoup aujourd’hui de médiation animale et les pratiques qui s’en réclament ne cessent d’essaimer et de se diversifier. C’est ainsi que de plus en plus de maisons de retraite acceptent les visites de chiens, de chats ou de petits rongeurs. Des chiens sont introduits dans certains instituts psychiatriques ou au sein de services de soins palliatifs ; ailleurs on propose à des adolescents en détresse ou à des détenus purgeant de longues peines de rencontrer des chevaux. Il s’avère que sous l’intitulé assez général de « médiation animale », des praticiens de toutes sortes cherchent à approfondir et améliorer leur travail d’aide et de soin en associant un ou plusieurs animaux. Ces pratiques sont-elles validées scientifiquement ou ne sont-elles qu’une mode probablement passagère ? Et comment éviter une nouvelle exploitation des animaux, à l’heure où un mouvement en faveur du respect des formes de vies animales se fait jour en France ?

Des pratiques à la limite du médical…

Depuis toujours, la question de l’évaluation et de la validation scientifique des pratiques de médiation animale pose problème. Ces pratiques existent et se développent continûment depuis le milieu des années soixante-dix, mais dès ce moment elles furent contestées et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les premières études publiées (Levinson, 1962 ; Corson & Corson, 1974 ; Mugford & M’Comisky, 1975) faisaient état de changements si spectaculaires chez les patients concernés que c’était quasi miraculeux – donc douteux (cf. Odendaal, 2000). Ensuite, parce qu’au fur et à mesure que les pratiques se multipliaient, le terme de « zoothérapie » a rapidement perdu son sens, à force d’être utilisé pour désigner des choses très différentes. Accompagné de son chien, chacun pouvait prétendre faire de la « zoothérapie » alors même que ce qu’il faisait s’apparentait plutôt à une activité récréative.

La médiation animale comprend des pratiques qui vont du soin par le contact animalier aux activités éducatives et récréatives impliquant des animaux.

Ainsi, dès 1984, Beck et Katcher considéraient qu’il fallait distinguer clairement entre l’usage récréatif d’animaux, impliquant des réponses émotionnelles positives, et la thérapie. Et ils ajoutaient cette précision : « on ne devrait pas conclure qu’un événement qui est apprécié par les patients est nécessairement une thérapie » (Beck et Katcher, 1984, cités par Kruger et Serpell, 2006 : 22). Mais ces recommandations n’ont pas vraiment été suivies. En effet, vingt ans plus, tard, en 2006, Kruger et Serpell constatent que « le terme de thérapie assistée par l’animal (Animal-Assisted-Theray, AAT) continue d’être appliqué à un ensemble de programmes qui ne méritent pas le terme de thérapie au sens scientifique ou médical du terme » (Kruger et Serpell, 2006 : 22).

Cette confusion des genres a donc amené une grande méfiance de la part du corps médical et du monde de la psychologie en général. Si chacun peut s’autoproclamer « zoothérapeute » pourvu qu’il soit accompagné d’un chien ou de tout autre animal familier, quelle confiance accorder à ces pratiques ? De ce point de vue, le terme de « médiation animale » est plus anodin, et c’est probablement là l’une des raisons de son succès actuel. Il désigne un mode de communication spécifique dans lequel l’animal joue un rôle important (de Villers & Servais, 2016), mais ne préjuge pas des objectifs ni du programme qui sous-tendent l’intervention.

… qui peinent à être démontrées scientifiquement

Enfin, la dernière raison pour laquelle les pratiques de médiation animale ont été contestées, c’est la difficulté rencontrée par les chercheurs qui ont tenté d’en démontrer scientifiquement l’efficacité. Dès le début des années quatre-vingt, un très grand nombre d’études ont cherché à prouver les effets positifs des animaux de compagnie sur la santé humaine ainsi que l’efficacité de programmes de zoothérapie. Mais les résultats furent globalement décevants (voir pour une revue : Michalon, 2014, Kamioka et al, 2014), et ce pour deux raisons.

La première est que le modèle expérimental utilisé fut celui de l’« evidence based medicine » : on a voulu établir  l’efficacité thérapeutique des animaux comme s’il s’agissait de substances chimiques dont les effets devaient être identiques pour tout le monde. Aujourd’hui on convient que les « effets thérapeutiques » des animaux sont d’abord de l’ordre d’une rencontre qui vient faire sens, de l’ouverture à des sensations, de la remobilisation des émotions et des ressentis corporels dans un contexte bienveillant, et de la capacité du thérapeute à se saisir du trouble et des nouveau rapport à soi amené par la présence animale (Servais, 2016). On s’est donc trompé en cherchant des « effets » qui seraient identiques chez chacun.

La seconde raison, qui est liée à la première, est l’impact des procédures standardisées sur les résultats. Dans mon travail de thèse (Servais, 1999) j’avais montré que la standardisation et le contrôle nécessaires pour « isoler » l’action de l’animal des autres variables, et ainsi s’assurer que c’est bien lui  qui est responsable de l’effet thérapeutique, entraîne la disparition de cet effet. Ceci était pour moi la preuve que l’apport  thérapeutique des animaux ne résidait pas dans les animaux « eux-mêmes » car ils n’ont pas de pouvoir de guérison. Les bienfaits, bien réels, apportés par un animal résident dans les processus de communication, d’interaction et de circulation des affects, dans l’enrichissement de la vie sensorielle et affective et dans la création d’une aire transitionnelle qui aide les personnes en souffrance à intégrer leur expérience de manière créative. On comprend que des procédures expérimentales standardisées, qui exigent que, hormis la présence de l’animal, toutes choses soient égales, empêchent ces processus de se mettre en route et de se développer. De telles procédures imposent en effet de minimiser l’impact de l’animal afin que la seule différence entre le dispositif avec animal et le dispositif sans animal soit la présence de ce dernier.

Travail thérapeutique avec un cheval. Photo Carola Dillenburger

Une tendance éphémère ?

Répondons à présent à nos deux questions de départ. Ces pratiques sont-elles une mode passagère ? Probablement pas. Les « pratiques de soin par le contact animalier » (Michalon, 2014) sont certes encore isolées et peu légitimes du point de vue de la psychothérapie « sérieuse », mais elles signalent peut-être le début d’une évolution plus générale au cours de laquelle les animaux et la nature seront convoqués pour aider des êtres humains en souffrance à recréer du lien avec leur environnement humain et non humain (cf. Searles 1986).

Enfin, les pratiques de médiation animale sont-elles un nouvel avatar de l’exploitation animale ? Cela se pourrait. Le danger est réel et il l’est d’autant plus que des visions simplificatrices de la médiation animale s’imposeront. C’est pourquoi il est important de comprendre que « l’effet thérapeutique » des animaux ne tient pas à leur simple nature mais qu’il est le résultat d’un dispositif au sein duquel  leur autonomie et  leur spontanéité  sont cruciales – dans les limites de la sécurité, évidemment. La médiation animale ce n’est pas utiliser des animaux pour « faire du bien » – ici des peluches ou des robots feront tout aussi bien l’affaire. C’est s’appuyer sur des affects de vitalité, sur l’altérité, l’imprévisibilité et les initiatives d’animaux vivants considérés comme de véritables partenaires par leurs accompagnateurs humains. C’est pourquoi il est crucial d’apprendre à ceux-ci à décoder finement les signaux de malaise ou de souffrance de leurs auxiliaires poilus. C’est seulement dans ces conditions que la médiation animale s’éloigne de l’usage d’animaux robotisés.

Un patient atteint d’Alzheimer avec le roboto Paro. D’après son constructeur, le robot Phoque Paro est équipé de 7 moteurs et d’un logiciel d’intelligence artificielle adapte ses mouvements et l’intonation de sa « voix » afin de fournir à chaque malade la meilleure stimulation cognitive possible. Photo ©Paro

 

Références bibliographiques

Beck, A. M. and Katcher, A. H. (1984). A new look at pet-facilitated therapy. J. Am. Vet. Med. Assoc., 184, 414–421

Corson S.A., O’Leary Corson E. et Gwynne P.H. (1975) Pet-facilitated psychotherapy. In Pet animals and society, R.S. Anderson (Ed.) Baillière Tindall: London, pp. 19-35.

de Villers, B. et Servais, V. (2016) La médiaton animale comme dispositif technique. In Servais, C. La médiation. Théories et terrains. Bruxelles, De Boeck, 79-100.

Kruger, K. A. et Serpell, J. A. (2006). Animal-assisted interventions in mental health: Definitions and theoretical foundations. In A. H. Fine (Ed.), Handbook on animal-assisted therapy: Theoretical foundations and guidelines for practice. San Diego, CA, Academic Press, 21-38

Levinson, B. (1962). The dog as ‘co-therapist‘. Mental Hygiene, 46, 59-65.

Michalon Jérôme (2014). Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Paris, Presses des mines.

Mugford R.A. et M’Comisky J.G. (1975). Some recent work on the psychotherapeutic value of caged birds with old people. In Pet animals and society, R.S. Anderson (Ed.). Baillière-Tindall: London, pp. 54-65

Odendaal, J. S. J. (2000). Animal-assisted therapy—magic or medicine?. Journal of

psychosomatic research, 49(4), 275-280.

Kamioka, H., Okada, S., Tsutani, K., Park, H., Okuizumi, H., Handa, S., … & Honda, T.

(2014). Effectiveness of animal-assisted therapy: A systematic review of randomized

controlled trials. Complementary therapies in medicine, 22(2), 371-390.

Searles, H. (1986). L’environnement non humain, Paris, Gallimard.

Servais, V. (1999). Enquête sur le « pouvoir thérapeutique » des dauphins. Ethnographie d’une recherche. Gradhiva, 25, 92-105.

Servais V. (2016) Introduire des animaux dans le cabinet du clinicien In J. Englebert et V. Follet (dir),  Adaptation : Essai collectif à partir des paradigmes éthologiques et évolutionnistes. Paris, France, MJW Fédition, 129-152


Article écrit par Véronique Servais, enseignant chercheur, Laboratoire d’Anthropologie Sociale et Culturelle

Mis en ligne le 28 avril 2017